• Dans les pas du petit Timonier

    Dans les pas du petit TimonierDifficile de laisser une trace dans la grande Histoire de Chine, notamment lorsque l'on ne possède pas la posture d'un grand homme et que l'on doit succéder à une figure populaire quasiment déifiée : Mao Zedong. Tel devait être l'état d'esprit de Deng Xiaoping en 1978, lorsqu'il accéda officiellement à la fonction suprême du Parti Communiste.

    Le petit timonier, loin d'être aussi charismatique que son prédécesseur, choisira donc la voie du pragmatisme à celle des grands discours et mouvements populaires. L'Histoire va dans sons sens, car après la fin de la catastrophique Révolution Culturelle fomentée par Mao Zedong pour reprendre le contrôle de la Chine, le gouvernement a plus que jamais besoin d'un homme d'action pour remédier à l'état de sous-développement dans lequel se trouve l'empire céleste. La politique d'ouverture économique de Deng Xiaoping tombe donc à pic, à un moment où le modèle politique et social prôné par le Parti Communiste chinois depuis des décennies, a montré l'étendue de ses limites.

    L'ouvrage Dans les pas du petit timonier d'Adrien Gombeaud, publié aux éditions du Seuil en 2013, nous plonge ainsi dans cette histoire discrète de la Chine, celle d'un petit homme pragmatique et persévérant, qui a su, malgré les difficultés, faire prendre à son pays un virage historique qui l'a sauvé de la descente aux enfers dans laquelle l'avait plongé les politiques de l'ère maoïste.

    De Guang'An au Parti

    L'auteur choisit de nous faire découvrir Deng Xiaoping à travers les lieux qui ont marqué sa vie, mais aussi et surtout, à travers ces zones de développement économique, qui ont poussé aux quatre coins de la Chine, et représentent son plus grand héritage.

    La découverte du personnage commence naturellement par son lieu de naissance, Guang'An. Deng Xiaoping, né Deng Xixian, voit le jour en 1904 dans cette petite ville paisible du Sichuan, qui s'est depuis métamorphosée sous l'impulsion des réformes de l'enfant du pays. Sa famille fait partie des notables de la ville, ce qui lui permettra d'avoir une bonne éducation. A 19 ans, il poursuit brièvement ses études supérieures à Chongqing avant de profiter d'un programme "Travail-études" de son université pour s'embarquer pour la France l'année suivante. Cette aventure débute à Shanghai, ville-monde, où il découvre le monde occidental avant l'heure : Il est déjà loin du Sichuan où il ne retournera que 30 ans plus tard.

    Dans les pas du petit TimonierA l'époque où Deng part pour Marseille, il fait le chemin inverse de nombreux chinois moins favorisés qui avaient fait le trajet quelques années plus tôt pour participer à l'effort de guerre durant la première guerre mondiale (200.000 chinois auraient ainsi été envoyés en France pour la seule année 1917). En France, il travaillera dans les usines du Creusot, de Montargis et de Chalette où il développera aux contacts de certains de ses compatriotes, un intérêt grandissant pour la philosophie marxiste. Il part ensuite pour Paris où il prendra la tête de mouvements révolutionnaires chinois dans la capitale, lui valant d'être mis sous surveillance des autorités françaises. cela ne l'empêche pas de participer à des débats de société dans des lieux mythiques comme la Bellevilloise où il exposera sa vision du socialisme [Lieu plus connu désormais pour son attroupement massif de hipsters parisiens].

    Deng retourne ensuite en Chine en 1924 et assiste à la montée en puissance du tout nouveau Parti Communiste Chinois (PCC) qui s'est créé entretemps. Il affirme son engagement révolutionnaire et participe à des campagnes au côté de Mao Zedong, tout en restant en retrait des projecteurs. Après 1949, Deng se distingue par son dévouement au PCC. Son fait d'arme majeur reste son action dans la purge "anti-droitière" qu'il mène au Sichuan en 1951 sur ordre de Pékin [Il est bon de noter qu'il aura pris soin de mettre à l’abri sa famille sachant pertinemment le carnage qui se préparait contre les "bourgeois" dans cette période troublé]. La carrière politique de Deng est ainsi fortement tournée vers le marxisme à ses débuts et ne laisse que peu percevoir la facette de réformateur de l'homme de l'ouverture économique de la Chine.

    Pourtant, Deng est bel et bien déjà tourné vers un modèle mixte. En effet, après l'échec cuisant du Grand Bond en avant mené par Mao à la fin des années 1950, Deng prend partie pour Liu Shaoqi qui remplace Mao Zedong aux plus hautes fonctions de l'Etat, afin de redresser le pays en proie à l'une des pires famines de son histoire. C'est bien ce choix stratégique douteux qui précipitera la chute du petit timonier lors a tourmente de la Révolution Culturelle où il essuiera les pires critiques et humiliations de sa vie. A ce moment, Deng est au plus bas, et sa survie tient presque du miracle en ces années de folie. Il est à l'époque caricaturé dans les journaux officiels, représenté comme un nabot, ou encore ridiculisé par des pamphlets vindicatifs contre sa personne, en témoigne cet extrait de sa fiche signalétique rédigée dans les années 60 :

    "...Extraction familiale : Tyrannique propriétaire terrien

    Rang dans le Parti : Faux membre du Parti Communiste

    Caractéristique : Opportuniste

    ..."

     Deng Xiaoping arrive malgré tout à survivre à ce marasme mais restera isolé politiquement jusqu'à la mort de Mao et le retour de la Chine à la raison. Il faut attendre 1978 pour que le vent tourne pour Deng et qu'il triomphe face aux conservateurs dirigés par Hua Guofeng. A partir de ce moment, le petit timonier prend du galon et commence à présenter ses plans pour l'avenir de la Chine, et tout démarre par cette phrase mythique : "Enrichissez-vous!". Ainsi débutent les zones économiques spéciales, les restructurations des entreprises d'Etat... afin d'offrir aux chinois les "4 boîtes" (Réfrigérateur, lave-linge, télévision, radio) et les "3 roues" (Montre, vélo, machine à coudre). La machine est lancée et dopée par des initiatives publiques d'envergure.

    Dans les pas du petit TimonierSur la scène internationale, Deng s'illustre lors des négociations sur la restitution de Hong Kong à la Chine avec M. Thatcher en 1982. La Chine, jusqu'alors sous estimée par les pays d'occident, commence à faire entendre sa voix.

    Les années 80 sourient à Deng et à la Chine, et c'est sur cette lancée qu'il entreprend en 1992 son voyage dans le Sud en train, comme l'avait fait son prédécesseur Mao. Cet évènement est longuement relaté dans l'ouvrage d'A. Gombeaud car sa symbolique est très forte : Deng Xiaoping souhaite montrer à la Chine qu'il est un dirigeant d'envergure comme Mao Zedong en 1971 : le petit timonier assume enfin son rôle public. Et de cette popularité, Deng en a bien besoin pour redorer son image fortement ternie depuis les évènements de la place Tiananmen en 1989. Ce périple en direction du Sud, loin de n'être qu'une référence au grand timonier, est surtout un voyage en terrain connu, sur les terres de ses premières réformes, là où il est le plus respecté : le Guangdong. 

    Dans les pas du petit TimonierShenzhen, représente ainsi l'apogée de ce voyage. Cette cité que Deng a créé ex nihilo sur un village de pêcheur est sans conteste son triomphe, une Californie en terre communiste aux portes de Hong Kong. Ce projet débute le 26 Août 1980 et marque la concrétisation des réformes de Deng, la seconde vague de réformes redonnera également son statut à Shanghai, punie jusqu'alors par le Parti pour son indécence passée.

    Ce voyage, point culminant du règne de Deng, marque aussi le lent déclin du vieil homme déjà âgé de 88 ans. Ainsi, ce voyage ne donnera pas lieu à de grands discours maoïstes, puisque le petit timonier, trop affaibli et peu enclin aux bains de foule, distillera plutôt ses citations célèbres dans des réunions en comité restreint.

    Cet affaiblissement progressif de Deng l'emportera finalement le 19 Février 1997, entouré de ses proches, quelques mois seulement avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine.

     

    Un homme de l'ombre

    Si le nom de Deng Xiaoping résonne à travers le monde comme l'architecte de la Chine modernisée et puissante, il n'en reste pas moins un personnage méconnu et même peu reconnu dans son pays.

    Dans les pas du petit TimonierEn effet, A. Gombeaud, dans son ouvrage, appuie sur cette dichotomie entre les faits d'arme de l'homme et la reconnaissance qui lui est manifestée par la population chinoise. Le culte de la personnalité qui entourait Mao Zedong ne s'est pas transmis à Deng Xiaoping car les deux hommes étaient radicalement différents. La Maomania perdure, car celui-ci a utilisé son charisme et les moyens de communication de son époque d'une bien meilleure façon que Deng ne le fit. Deng était en effet un être pragmatique mais pas une figure d'autorité comme le fut Mao. 

    Cependant, ces éléments ne peuvent seuls, expliquer la dominance de l'héritage de Mao dans la conscience collective chinoise. En effet, l'accession au pouvoir de Mao représente avant tout une libération soudaine d'une classe jusqu'alors sous considérée : les paysans. Mao n'aura ainsi de cesse de maintenir l'esprit de la révolution et de brosser la classe dite "prolétarienne" dans le sens du poil. Ainsi, au-delà de ses talents d'orateurs certains, Mao a marqué davantage les chinois car il a établi un réel changement de paradigme dans la société.

    Deng, lui, arrive au contraire après Mao pour réparer les erreurs stratégiques de ce dernier et ainsi organiser le retour à la réalité de la Chine, et par là, le retour à l'ancien modèle de domination de l'argent sur l'idéologie. Pour les chinois, l'arrivée au pouvoir de Deng a donc coïncidé avec la fin du "bol de fer", c'est-à-dire, la fin d'une société où le Parti leur garantissait une situation stable (Emploi, logement, couverture santé...) tout au long de leur vie.

    Dans ce contexte, le  renforcement du culte de Mao récemment, exprime la nostalgie d'une partie de la population face aux injustices de la société chinoise actuelle où les différences de richesses ont atteint un niveau critique.   

    Dans les pas du petit Timonier

    Deng Xiaoping restera malgré tout dans l'Histoire de la Chine comme le dernier dragon de l'aventure maoïste. Il laisse sa place à la nouvelle génération de princes rouges, qui comme lui, utiliseront l'héritage de Mao pour fédérer le peuple chinois et les préceptes économiques occidentaux pour dynamiser la croissance du pays.

    Deng a su, par sa persévérance, guider la Chine vers une reconversion nécessaire. L'homme peu charismatique, aura su, dans cet objectif, utiliser son meilleur atout : son pragmatisme.

    La phrase d'introduction de l'ouvrage Dans les pas du petit timonier, à elle seule, résume ce personnage si mystérieux au destin incroyable, qui semblerait avoir atteint les sommets presque malgré lui :

    "- Qu'as tu fait pendant la Longue Marche? Ai-je demandé un jour à mon père.

    - J'ai suivi, répondit Deng"

    Deng Maomao : Deng Xiaoping mon père.


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