• L'âge des ambitions (Evan Osnos)

    L'âge de l'ambition (Evan Osnos)"Chine - l'âge des ambitions" (Titre original : Age of ambition: Chasing Fortune, Truth and Faith in the New China) est un ouvrage sur la Chine contemporaine rédigé par le journaliste américain Evan Osnos en 2014.

    L'auteur nous décrit dans ce livre les changements notoires dans la société chinoise à travers les expériences de chinois, célèbres ou anonymes, qu'il a pu interviewer. Ce travail d'enquête, agrémenté d'analyses personnelles basées sur son expérience dans le pays, a l'avantage d'exposer au lecteur occidental non initié à l'environnement chinois, une vision assez détaillé des bouleversements gigantesques qu'a connu la Chine au cours des 25 dernières années. Si l'ouvrage n'évite pas certains raccourcis sur le pays, il n'en reste pas moins un travail soigné. L'auteur essaie en effet de conserver une approche neutre lors de ses interviews, même si son opinion reste palpable en trame de fond de son récit (Ne serait-ce que par le choix de certaines personnes interrogées).

    L'objectif de l'ouvrage

    Tout d'abord, L'âge des ambitions ne peut être lu comme une étude académique sur la Chine, mais plutôt comme un essai empirique, basé sur l'enquête de terrain en limitant les a priori théoriques.

    Ce livre est en effet le fruit des huit années qu'Evan Osnos a passé en Chine en tant qu'envoyé spécial successivement pour le Chicago Tribune puis le New Yorker. Son ouvrage nous plonge ainsi dans les récits personnels des chinois, trop peu entendus à l'intérieur du pays comme à l'étranger, à qui il donne une tribune pour exprimer leur vision des évolutions de la Chine contemporaine.

    Osnos organise ces récits en trois parties principales. Le livre s'ouvre ainsi sur le boom économique chinois et l'ascension spectaculaire de ces hommes et femmes, qui partis de rien, ont construit les bases de la Chine actuelle. La seconde partie de l'ouvrage, à mon sens plus partiale, s'intéresse à la rébellion des chinois face à la censure et aux limites qui leur sont imposées. L'auteur finalise ce récit par une partie consacrée à la classe moyenne : ses valeurs et sa quête d'un nouvel équilibre moral dans un pays déstabilisé par plus de trois décennies d'ouverture économique acharnée.

    Les rêves de fortune

    Osnos débute son récit par l'expérience de Lin Zhengyi, brillant soldat, qui a décidé, dés le début de l'ouverture économique chinoise en 1979, de déserter Taïwan pour aller rejoindre la terre de ses ancêtres, sa "mère patrie", qu'il souhaite accompagner dans son développement. Cet homme parti sans rien, deviendra, après un long périple, un éminent économiste en Chine, en se faisant le fervent défenseur d'un Etat fort et interventionniste sur le plan économique. Lorsqu'il est interrogé sur ses motivations à tout quitter pour rejoindre une terre alors hostile, Lin Yifu ("Un homme persévérant engagé dans un long voyage" Comme il se fait appeler désormais), répond qu'il souhaitait "disparaître" et quitter ce monde d'injustice qu'il avait connu à Taïwan pour "revenir" dans le berceau de sa civilisation. Cet idéaliste venu de cette île qualifiée de "félonne" par Pékin, incarne plus que quiconque, l'état d'esprit en Chine dans les débuts de l'ouverture : L'espoir en l'avenir. Cette époque des "fortunes à mains nues", qui ont ouvert la voie à la croissance effrénée qu'a connue la Chine durant les deux décennies suivantes, est une période d'optimisme économique où des pionniers apparaissent et se font un nom. 

    L'âge des ambitions (Evan Osnos)

    Les rêves de fortune s'accompagnent pour ce "groupe des enrichis d'abord" de rêves de statut et d'envies de loisirs, ce qui ouvre en parallèle un marché gigantesque pour l'industrie du divertissement et de la culture qui se répandra au fur et à mesure à un nombre toujours croissant de chinois.

    Cette ouverture économique et cet enrichissement de la population, cependant ne sont pas suivis de réformes structurelles de l'Etat, et les chinois, dans leur quotidien doivent toujours vivre dans un environnement corrompu où l'information reste cloisonnée et contrôlée. L'auteur s'interroge ainsi dans une seconde partie à ce paradoxe de développement à deux vitesses et à la manière dont les chinois vivent avec cette "contrainte" permanente.

    Quête de vérité

    Le deuxième chapitre du livre s'intéresse ainsi à l'adaptation des chinois à la censure, mais également aux innovations dont ils font preuve en permanence pour exprimer des avis divergents en contournant la Grande Muraille de l'Internet.

    Cette partie peut être, d'une certaine manière, résumée dans cette expression chinoise utilisée par l'auteur : "Danser les fers aux pieds" qui exprime la capacité qu'ont certains chinois de partager habilement leurs opinions dans l'espace d'expression restreint qui leur est confié.

    A ce titre, de mon point de vue, la personne la plus intéressante interrogée par Osnos dans cette partie, est Hu Shuli, rédactrice en chef du magazine libéral Caijing (Désormais responsable de son propre journal indépendant : Caixin). Cette femme à la poigne de fer, a mené sa carrière sur le postulat que les citoyens souhaitaient de l'information réelle et détaillée hors des messages officiels des organes de presse étatique. En cela, Hu est la pionnière du journalisme d'investigation en Chine, ce qui représente une véritable prouesse dans le pays où les journalistes sont plus habitués à publier des articles "suggérés" par le Parti. Hu Shuli explique ainsi à Osnos comment elle a réussi à survivre en s'entourant des bonnes personnes mais surtout en sachant toujours juger avec habileté où s'arrêter, exercice évidemment complexe en Chine.

    Au cours des années 90, elle n'hésite ainsi pas à couvrir des cas de corruption, de délits d'initiés touchant des officiels, bien avant les campagnes anti-corruption de Xi Jinping. Cependant, elle subit des revers à partir de la fin des années 2000 lorsque sa ligne de publication quitte peu à peu la sphère purement économique et officielle pour glisser vers des sujets de société plus sensibles tels que les enquêtes sur le SRAS ou le tremblement de terre du Sichuan en 2008.

    Une autre interview attire mon attention dans ce chapitre. Osnos s'intéresse en effet à un jeune étudiant de l'université de Fudan, Tang Jie, qui tient à jour un site nationaliste où il publie des vidéos à la gloire de la Chine, contre l'impérialisme occidental. Ce portrait en effet, loin de caricaturer la personne permet au lecteur de comprendre la philosophie qui motive cet étudiant extrêmement érudit dont la ferveur connaît également les affres de la censure.

    Ce chapitre nous présente également des spécialistes chinois du contournement la censure comme l'artiste superstar Ai Weiwei, ou le bloggeur playboy Hanhan, mais également des personnes engagées corps et âme dans une lutte pour les droits de l'Homme, pour qui l'avenir semble plus sombre, tels le poète Liu Xiaobo ou l'avocat Chen Guangcheng.

    Le choix de ces figures fortes de la contestation engage le récit de l'auteur dans une vision plus pessimiste sur l'avenir intellectuel de la Chine.

    Illusions et nouvelles croyances

    Le troisième chapitre développé par Osnos me donne une impression plus sombre. L'auteur débute en effet ce chapitre par une partie dédiée au vide spirituel dont le Parti Communiste serait responsable, plaçant le développement économique comme unique indicateur du bien-être de sa population. Ainsi, nous y découvrons sans surprise que la nouvelle classe moyenne chinoise, désormais enrichie, ne voit plus dans le Parti une entité digne de confiance. Les messages à la gloire du socialisme égrainés par le Parti ne séduisent plus une population qui s'individualise de plus en plus et se désolidarise même du groupe.

    Dans ce contexte, un nombre croissant d'individus se tournent vers les croyances anciennes chinoises ou vers d'autres religions comme le christianisme.

     

    Ce chapitre est aussi l'occasion de faire un bilan des différents récits, ce qui permet de révéler les désillusions de la plupart des protagonistes interrogés.

    La triomphante Hu Shuli, par exemple, apparaît désormais désabusée quant à sa capacité à continuer à exercer un journalisme d'investigation dans un contexte de resserrement de la censure depuis quelques années. Ceci ne l'a pas empêché toutefois de recréer une équipe pour une nouvelle aventure, mais la tâche semble plus ardue.

    L'idéaliste Tang Jie, n'arrivant plus à vivre de ses convictions, doit raccrocher les gants et accepte un poste de professeur de philosophie dans une université.

    Les artistes mentionnés ci-dessus comme Ai Weiwei ou Hanhan se disent brisés par le système et ont perdu de leur combativité, voire se sont rangés.

    Le contrôle de l'Etat pour les uns, et le plafond de verre grandissant pour les autres, semble ainsi avoir entamé les ambitions des personnes présentées. Le lecteur garde ici l'image d'un pays frustré où les citoyens sont minés par une crise sociale et morale profonde.

    L'âge des ambitions (Evan Osnos)

    Cette description de la société chinoise, si elle peut s'avérer pertinente à certains égards, me dérange malgré tout, car elle ne rend pas compte de l'immense force de caractère qui anime les chinois et de leur désir toujours constant de s'élever (Élément qui ressort plus dans les parties précédentes). C'est pourquoi je préfère clore cet article par la dernière anecdote de ce livre : la rencontre avec Qi Xiangfu.

     

    Qi Xiangfu est alors balayeur dans le quartier du temple de Confucius de Pékin où réside l'auteur. Peu avant le départ de ce dernier, Qi vient lui parler pour lui présenter son travail en tant que poète, ce qui éveille la curiosité d'Osnos. Il prend alors connaissance de la vie cachée de ce personnage et découvre qu'il a une certaine renommée sur la toile.

    Il finit par demander à l'homme ce qui l'inspire dans la vie. Ce dernier lui répond : "Quand j'écris, tout est substance. Dans la vie je dois me montrer pragmatique. Mais quand j'écris, c'est à moi de décider". Cette phrase me semble plus à même de retranscrire la manière de penser des chinois, à savoir qu'il y a toujours un espace privé dans lequel ils se réfugient, et que cette espace est leur forteresse contre les difficultés du monde extérieur. L'optimisme et l'ambition des chinois persiste ainsi malgré le ralentissement de la croissance et les difficultés croissantes d'ascension sociale dans le pays.


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